ARRÊT SUR IMAGE
ALLER A L'ESSENTIEL, DONNER LE MOUVEMENT Des hommes et des femmes, des corps posés ou saisis en mouvement, qui se cherchent, se fuient, se défient. Parfois des accessoires apparaissent, comme autant d'indices: un livre, un crayon, deux vélos posés contre un parapet. C'est une peinture qui raconte les gens en situation, en société. Chaque tableau fixe une histoire que le peintre - on emploie le singulier à dessein - nous laisse recomposer à notre gré. Le personnage en veste blanche qui précède la silhouette noire, dans l'escalier: il invite à le suivre, ou il avance sous la menace? "Tu montes, chéri?" ou "Si tu te retournes, t'es mort"? A qui écrit l'homme assis, tête basse? A la fille en jupe virevoltante qui s'éloigne en lisant? L'ouvrage ouvert dans sa main gauche est un recueil de poèmes, sans doute, car elle marche les yeux levés... Voie libre à l'imagination. Vêtements et postures sont à peine esquissés. Les dessinateurs de mode et les chorégraphes savent eux aussi qu'un trait, une zébrure, suffit à faire deviner un volume, à suggérer un geste. Cette peiture est narrative, mais pas anecdotique. Elle n'offre ni couleur locale, ni détail pittoresque, aucun arbre n'y cache la forêt. D'ailleurs, il n'y a pas de forêt dans ces tableaux, pas le moindre espace vert: nous arpentons un univers urbain parfaitement minéral. Angles droits et plans verticaux, lignes de fuite qui dessinent une rue, une route - de l'asphalte et du béton. Les éclairages soulignent les contrastes: jour / nuit, extérieur / intérieur, sujet sur-exposé / sous-exposé. La composition est expressionniste: cadrages-chocs, découpage dynamique. Au besoin, le déroulement d'un geste est fractionné image par image, comme un ralenti. Cette peiture paraît faite par et pour des gens qui aiment le cinéma, dont elle a parfaitement intégré le langage. Elle va droit à l'essentiel, et l'essentiel c'est le mouvement. Du coup, même si chaque tableau contient toute une histoire, c'est leur enchaînement qui retient l'attention. Mais comment passer de la contemplation des plans à la compréhension du film? |
Vêtements et postures sont à peine esquissés. Les dessinateurs de mode et les chorégraphes savent eux aussi qu'un trait, une zébrure, suffit à faire deviner un volume, à suggérer un geste. Cette peiture est narrative, mais pas anecdotique. Elle n'offre ni couleur locale, ni détail pittoresque, aucun arbre n'y cache la forêt. D'ailleurs, il n'y a pas de forêt dans ces tableaux, pas le moindre espace vert: nous arpentons un univers urbain parfaitement minéral. Angles droits et plans verticaux, lignes de fuite qui dessinent une rue, une route - de l'asphalte et du béton. Les éclairages soulignent les contrastes: jour / nuit, extérieur / intérieur, sujet sur-exposé / sous-exposé. La composition est expressionniste: cadrages-chocs, découpage dynamique. Au besoin, le déroulement d'un geste est fractionné image par image, comme un ralenti. Cette peiture paraît faite par et pour des gens qui aiment le cinéma, dont elle a parfaitement intégré le langage. Elle va droit à l'essentiel, et l'essentiel c'est le mouvement. Du coup, même si chaque tableau contient toute une histoire, c'est leur enchaînement qui retient l'attention. Mais comment passer de la contemplation des plans à la compréhension du film? La conception modulaire des éléments - format carré, parfois subdivisé selon des rythmes ternaires ou binaire - donne la clef: l'ensemble de ces peitures se présente comme une combinatoire. Le film n'est pas linéaire, l'histoire n'est pas univoque. Nous sommes devant un récit à entrées multiples et déroulement variable, au choix du spectateur - qui peut opposer, superposer, ou même imposer sa propore construction à celle de l'auteur. En un mot, c'est un jeu. Il y a des définitions de l'art moins satisfaisantes. Le plaisir de jouer donne leur valeur aux jouets - poupées de chiffon, rectangles de carton, ou tableaux. Et le jeu porte en lui-même sa récompense. Il suffit d'y participer pour en sortir gagant. Réellement. Ce n'est pas du cinéma. Jeau Steinauer |